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LES ROUGON-MACQUART.

lègue. Alors, M. La Rouquette, emporté, risquant tout, s’écria :

— Très-joli ! le coup est d’un moëlleux !

L’empereur ayant gagné, Rougon demanda une revanche. Les palets glissaient de nouveau sur le tapis de drap vert, avec un petit bruissement de feuille sèche, lorsque une gouvernante parut à la porte du salon de famille, tenant sur ses bras le prince impérial. L’enfant, âgé d’une vingtaine de mois, avait une robe blanche très-simple, les cheveux ébouriffés, les yeux enflés de sommeil. D’ordinaire, lorsqu’il s’éveillait ainsi, le soir, on l’apportait un instant à l’impératrice, pour qu’elle l’embrassât. Il regardait la lumière de cet air profondément sérieux des petits garçons.

Un vieillard, un grand dignitaire, s’était précipité, traînant ses jambes goutteuses. Et se penchant, avec un tremblement sénile de la tête, il avait pris la petite main molle du prince, qu’il baisait, en murmurant de sa voix cassée :

— Monseigneur, monseigneur…

L’enfant, effrayé par l’approche de ce visage parcheminé, se rejeta vivement en arrière, poussa des cris terribles. Mais le vieillard ne le lâchait pas. Il protestait de son dévouement. On dut arracher à son adoration la petite main molle qu’il tenait collée sur ses lèvres.

— Retirez-vous, emportez-le, dit l’empereur impatienté à la gouvernante.

Le souverain venait de perdre la seconde partie. La belle commença. Rougon, prenant les éloges au sérieux, s’appliquait. Maintenant, Clorinde trouvait qu’il jouait trop bien. Elle lui souffla à l’oreille, au moment où il allait ramasser ses palets :

— J’espère que vous n’allez pas gagner.

Il sourit. Mais, brusquement, des abois violents se