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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

regard sur la caisse de l’instrument, comme surpris des sons graves, que certains tours de la manivelle ramenaient.

— J’ai eu le bonheur d’obtenir des veaux superbes cette année, grâce à un nouveau croisement de races, expliquait Delestang. Malheureusement, quand Votre Majesté est venue, les parcs étaient en réparation.

Et l’empereur parla culture, élevage, engrais, lentement, par monosyllabes. Depuis sa visite à la Chamade, il tenait Delestang en grande estime. Il louait surtout celui-ci d’avoir tenté pour le personnel de sa ferme un essai de vie en commun, avec tout un système de partage de certains bénéfices et de caisse de retraite. Lorsqu’ils causaient ensemble, ils avaient des communautés d’idées, des coins d’humanitairerie qui les faisaient se comprendre à demi-mot.

— M. Rougon vous a parlé de son projet ? demanda l’empereur.

— Oh ! un projet superbe, répondit Delestang. On pourrait tenter en grand des expériences…

Il montra un véritable enthousiasme. La race porcine le préoccupait ; les beaux types se perdaient en France. Puis, il laissa entendre qu’il étudiait un nouvel aménagement des prairies artificielles. Mais il faudrait d’immenses terrains. Si Rougon réussissait, il irait là-bas appliquer son procédé. Et, brusquement, il s’arrêta : il venait d’apercevoir sa femme qui le regardait d’un regard fixe. Depuis qu’il approuvait le projet de Rougon, elle pinçait les lèvres, furieuse, toute pâle.

— Mon ami, murmura-t-elle, en lui montrant le piano.

M. de Combelot, les doigts rompus, ouvrait la main, qu’il refermait ensuite doucement, pour se délasser. Il allait attaquer une polka, avec le sourire complaisant