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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Il ne restait plus trace de l’hostilité du premier moment. Puisqu’il s’exilait de lui-même, on pouvait lui serrer la main, sans courir le risque de se compromettre. Ce fut un véritable soulagement pour beaucoup d’invités. M. La Rouquette, quittant la danse, en parla au chevalier Rusconi, d’un air enchanté d’homme mis à l’aise.

— Il fait bien ; il accomplira de grandes choses là-bas, dit-il, Rougon est un homme très-fort ; mais, voyez-vous, il manque de tact en politique.

Ensuite, il s’attendrit sur la bonté de l’empereur, qui, selon son expression, « aimait ses vieux serviteurs comme on aime d’anciennes maîtresses ». Il s’acoquinait à eux, il éprouvait des regains de tendresse, après les ruptures les plus éclatantes. S’il avait invité Rougon à Compiègne, c’était sûrement par quelque muette lâcheté de cœur. Et le jeune député cita d’autres faits à l’honneur des bons sentiments de Sa Majesté : quatre cent mille francs donnés pour payer les dettes d’un général ruiné par une danseuse, huit cent mille francs offerts en cadeau de noce à un de ses anciens complices de Strasbourg et de Boulogne, près d’un million dépensé en faveur de la veuve d’un grand fonctionnaire.

— Sa cassette est au pillage, dit-il en terminant. Il ne s’est laissé nommer empereur que pour enrichir ses amis… Je hausse les épaules, quand j’entends les républicains lui reprocher sa liste civile. Il épuiserait dix listes civiles à faire le bien. C’est un argent qui retourne à la France.

Tout en parlant à demi-voix, M. La Rouquette et le chevalier Rusconi suivaient des yeux l’empereur. Celui-ci achevait de faire le tour de la galerie. Il manœuvrait prudemment au milieu des danseuses, s’avançant muet et seul, dans le vide que le respect ouvrait devant lui. Quand il passait derrière les épaules nues d’une