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LES ROUGON-MACQUART.

dame assise, il allongeait un peu le cou, les paupières pincées, avec un regard oblique et plongeant.

— Et une intelligence ! dit à voix plus basse le chevalier Rusconi. Un homme extraordinaire !

L’empereur était arrivé près d’eux. Il resta là une minute, morne et hésitant. Puis, il parut vouloir s’approcher de Clorinde, très-gaie en ce moment, très-belle ; mais elle le regarda hardiment, elle dut l’effrayer. Il se remit à marcher, la main gauche rejetée et appuyée sur les reins, roulant de l’autre main les bouts cirés de ses moustaches. Et, comme M. Beulin-d’Orchère se trouvait en face de lui, il fit un détour, se rapprocha de biais, en disant :

— Vous ne dansez donc pas, monsieur le président ?

Le magistrat avoua qu’il ne savait pas danser, qu’il n’avait jamais dansé de sa vie. Alors, l’empereur reprit, d’une voix encourageante :

— Ça ne fait rien, on danse tout de même.

Ce fut son dernier mot. Il gagna doucement la porte, il disparut.

— N’est-ce pas ? un homme extraordinaire ? disait M. La Rouquette, qui répétait le mot du chevalier Rusconi. Hein ? à l’étranger, on se préoccupe énormément de lui ?

Le chevalier, en diplomate discret, répondit par de vagues signes de tête. Pourtant, il convint que toute l’Europe avait les yeux fixés sur l’empereur. Une parole prononcée aux Tuileries ébranlait les trônes voisins.

— C’est un prince qui sait se taire, ajouta-t-il, avec un sourire dont la fine ironie échappa au jeune député.

Tous deux retournèrent galamment auprès des dames. Ils firent des invitations pour le prochain quadrille. Un aide de camp tournait depuis un quart d’heure la mani-