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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

L’ennui devenait tel, que les quelques curieux des tribunes s’en allèrent. Seuls, les amis de Rougon restaient. Ils espéraient encore qu’il parlerait.

Tout d’un coup, un député, avec des favoris corrects d’avoué de province, se leva. Cela arrêta net le fonctionnement monotone de la machine à voter. Une vive surprise fit tourner les têtes.

— Messieurs, dit le député, debout à son banc, je demande à m’expliquer sur les motifs qui m’ont forcé à me séparer, bien malgré moi, de la majorité de la commission.

La voix était si aigre, si drôle, que la belle Clorinde étouffa un rire dans ses mains. Mais, en bas, parmi ces messieurs, l’étonnement grandissait. Qu’était-ce donc ? pourquoi parlait-il ? Alors, en interrogeant, on finit par savoir que le président venait de mettre en discussion un projet de loi autorisant le département des Pyrénées-Orientales à emprunter deux cent cinquante mille francs, pour la construction d’un Palais de Justice, à Perpignan. L’orateur, un conseiller général du département, parlait contre le projet de loi. Cela parut intéressant. On écouta.

Cependant, le député aux favoris corrects procédait avec une prudence extrême. Il avait des phrases pleines de réticences, le long desquelles il envoyait des coups de chapeau à toutes les autorités imaginables. Mais les charges du département étaient lourdes ; et il fit un tableau complet de la situation financière des Pyrénées-Orientales. Puis, la nécessité d’un nouveau Palais de Justice ne lui semblait pas bien démontrée. Il parla ainsi près d’un quart d’heure. Quand il s’assit, il était très-ému. Rougon, qui avait haussé les paupières, les laissa retomber lentement.

Alors, ce fut le tour du rapporteur, un petit vieux très-vif, qui parla d’une voix nette, en homme sûr de