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LES ROUGON-MACQUART.

son terrain. D’abord, il eut un mot de politesse pour son honorable collègue, avec lequel il avait le regret de n’être pas d’accord. Seulement, le département des Pyrénées-Orientales était loin d’être aussi obéré qu’on voulait bien le dire ; et il refit, avec d’autres chiffres, le tableau complet de la situation financière du département. D’ailleurs, la nécessité d’un nouveau Palais de Justice ne pouvait être niée. Il donna des détails. L’ancien Palais se trouvait situé dans un quartier si populeux, que le bruit des rues empêchait les juges d’entendre les avocats. En outre, il était trop petit : ainsi, lorsque les témoins, dans les procès de cours d’assises, étaient très-nombreux, ils devaient se tenir sur un palier de l’escalier, ce qui les laissait en butte à des obsessions dangereuses. Le rapporteur termina, en lançant comme argument irrésistible que c’était le garde des sceaux lui-même qui avait provoqué la présentation du projet de loi.

Rougon ne bougeait pas, les mains nouées sur les cuisses, la nuque appuyée contre le banc d’acajou. Depuis que la discussion était ouverte, sa carrure semblait s’alourdir encore. Et, lentement, comme le premier orateur faisait mine de vouloir répliquer, il souleva son grand corps, sans se mettre debout tout à fait, disant d’une voix pâteuse cette seule phrase :

— Monsieur le rapporteur a oublié d’ajouter que le ministre de l’Intérieur et le ministre des Finances ont approuvé le projet de loi.

Il se laissa retomber, il s’abandonna de nouveau, dans son attitude de taureau assoupi. Parmi les députés, il y avait eu un petit frémissement. L’orateur se rassit, en saluant du buste. Et la loi fut votée. Les quelques membres qui suivaient curieusement le débat, prirent des mines indifférentes.