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LES ROUGON-MACQUART.

mains tremblaient en faisant leurs paquets. Il sentait un muet reproche dans leur émotion. C’était lui qui les avait retenus à Paris ; et cela aboutissait à un échec absolu, à une véritable fuite.

— Vous avez tort, murmura-t-il.

Madame Charbonnel eut un geste de supplication, comme pour le faire taire. Elle dit vivement :

— Écoutez, monsieur Rougon, ne nous promettez rien. Notre malheur recommencerait… Quand je pense que depuis deux ans et demi nous vivons ici ! Deux ans et demi, mon Dieu ! au fond de ce trou !… Je garderai pour le restant de mes jours des douleurs dans la jambe gauche ; c’est moi qui couchais du côté de la ruelle, et le mur, là, derrière vous, pisse l’eau… Non, je ne puis pas tout vous dire. Ça serait trop long. Nous avons mangé un argent fou. Tenez, hier, j’ai dû acheter cette grande malle pour emporter ce que nous avons usé à Paris, des vêtements mal cousus qu’on nous a vendus les yeux de la tête, du linge qui me revenait en loques de la blanchisseuse… Ah ! ce sont vos blanchisseuses que je ne regretterai pas, par exemple ! Elles brûlent tout avec leurs acides.

Et elle jeta un tas de chiffons dans la malle, en criant :

— Non, non, nous partons. Voyez-vous, une heure de plus, et j’en mourrais.

Mais Rougon, avec entêtement, reparla de leur affaire. Ils avaient donc appris de bien mauvaises nouvelles ? Alors, les Charbonnel, presque en pleurant, lui contèrent que l’héritage de leur petit-cousin Chevassu allait décidément leur échapper. Le Conseil d’État était sur le point d’autoriser les sœurs de la Sainte-Famille à accepter le legs de cinq cent mille francs. Et ce qui avait achevé de leur ôter tout espoir, c’était qu’on leur avait appris la présence de monseigneur Rochart à