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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Rougon avait parlé. D’une tribune à l’autre, le colonel Jobelin échangea un clignement d’yeux avec le ménage Charbonnel ; pendant que madame Correur s’apprêtait à quitter la tribune, comme on quitte une loge de théâtre avant la tombée du rideau, lorsque le héros de la pièce a lancé sa dernière tirade. Déjà M. d’Escorailles et madame Bouchard s’en étaient allés. Clorinde, debout contre la rampe de velours, dominant la salle de sa taille superbe, se drapait lentement dans un châle de dentelle, en promenant un regard autour de l’hémicycle. La pluie ne battait plus les vitres de la baie, mais le ciel restait sombre de quelque gros nuage. Sous la lumière salie, l’acajou des pupitres semblait noir ; une buée d’ombre montait le long des gradins, où des crânes chauves de députés gardaient seuls une tache blanche ; et, sur les marbres des soubassements, au-dessous de la pâleur vague des figures allégoriques, le président, les secrétaires et les huissiers, rangés en ligne, mettaient des silhouettes raidies d’ombres chinoises. La séance, dans ce jour brusquement tombé, se noyait.

— Bon Dieu ! on meurt là-dedans, dit Clorinde, en poussant sa mère hors de la tribune.

Et elle effaroucha les huissiers endormis sur le palier, par la façon étrange dont elle avait roulé son châle autour de ses reins.

En bas, dans le vestibule, ces dames rencontrèrent le colonel Jobelin et madame Correur.

— Nous l’attendons, dit le colonel ; peut-être sortira-t-il par ici… En tout cas, j’ai fait signe à Kahn et à Béjuin, pour qu’ils viennent me donner des nouvelles.

Madame Correur s’était approchée de la comtesse Balbi. Puis, d’une voix désolée :

— Ah ! ce serait un grand malheur ! dit-elle, sans s’expliquer davantage.