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LES ROUGON-MACQUART.

— Je suis éreinté, murmura-t-il sans donner aucun détail sur ses besognes compliquées de l’après-midi. Je serais allé me coucher, si je n’avais eu l’idée de venir jeter un coup d’œil sur les journaux… Ils sont dans votre cabinet, les journaux, n’est-ce pas, Rougon ?

Il resta là pourtant, il accepta une poire avec deux doigts de vin. La conversation s’était mise sur la cherté des vivres ; tout, depuis vingt ans, se trouvait doublé ; M. Bouchard se souvenait d’avoir vu les pigeons à quinze sous la paire, dans sa jeunesse. Cependant, dès que le café et les liqueurs furent servis, madame Rougon se retira discrètement. On retourna au salon sans elle ; on était comme en famille. Le colonel et le chef de bureau apportèrent eux-mêmes la table de jeu devant la cheminée ; et ils battirent les cartes, absorbés, perdus déjà dans de profondes combinaisons. Auguste, sur un guéridon, feuilletait la collection d’un journal illustré. Du Poizat avait disparu.

— Voyez donc ce jeu, dit brusquement le colonel. Il est extraordinaire, hein ?

Rougon s’approcha, hocha la tête. Puis, comme il retournait s’asseoir dans le silence, prenant les pincettes pour relever les bûches, le domestique, qui était entré doucement, vint lui dire à l’oreille :

— Le monsieur de ce matin est là.

Il tressaillit. Il n’avait pas entendu le coup de sonnette. Dans son cabinet, il trouva Gilquin debout, un rotin sous le bras, examinant avec des clignements d’yeux d’artiste une mauvaise gravure représentant Napoléon à Sainte-Hélène. Il restait boutonné jusqu’au menton, au fond de son grand paletot vert, la tête couverte d’un chapeau de soie noir presque neuf, fortement incliné sur l’oreille.

— Eh bien ? demanda vivement Rougon.