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LES ROUGON-MACQUART.

d’État depuis environ six mois. Et quand Rougon l’interrogea sur les motifs de son renvoi, il n’avoua pas avoir été mis à la porte pour sa mauvaise conduite. Il pinça les lèvres, il répondit d’un air discret :

— On savait combien j’étais dévoué à monsieur. Depuis le départ de monsieur, on me faisait toutes sortes de misères, parce que je n’ai jamais su cacher mes sentiments… Un jour, j’ai failli donner un soufflet à un camarade, qui disait des choses inconvenantes… Et ils m’ont renvoyé.

Rougon le regardait fixement.

— Alors, mon garçon, c’est à cause de moi que vous voilà sur le pavé ?

Merle eut un petit sourire.

— Et je vous dois une place, n’est-ce pas ? Il faut que je vous case quelque part ?

Il sourit de nouveau, en disant simplement :

— Monsieur serait bien bon.

Un court silence régna. Rougon tapait légèrement ses mains l’une contre l’autre, d’un mouvement machinal et nerveux. Il se mit à rire, résolu, soulagé. Il avait trop de dettes, il voulait payer tout.

— Je songerai à vous, vous aurez votre place, reprit-il. Vous avez bien fait de venir, mon garçon.

Et il le congédia. Cette fois, il n’hésitait plus. Il entra dans la salle à manger, où Gilquin achevait un pot de confitures, après avoir mangé une tranche de pâté, une cuisse de poulet et des pommes de terre froides. Du Poizat, qui était venu rejoindre ce dernier, causait avec lui, à califourchon sur une chaise. Ils parlaient des femmes, de la façon de se faire aimer, très-crûment. Gilquin avait gardé son chapeau sur la tête ; et il se renversait, il se dandinait sur sa chaise, un cure-dent aux lèvres, pour avoir bon genre.