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LES ROUGON-MACQUART.

Ces messieurs ne bougeaient pas. M. d’Escorailles, malgré sa grande jeunesse, avait reçu la croix de chevalier huit jours auparavant ; M. Kahn et M. Bouchard étaient officiers ; le colonel venait enfin d’être nommé commandeur.

— Voyons, nous disons une croix d’officier, répétait Rougon, en fouillant de nouveau dans les dossiers.

Mais il s’interrompit, comme frappé d’une idée subite.

— Est-ce que vous n’êtes pas maire quelque part, monsieur Béjuin ? demanda-t-il.

M. Béjuin se contenta d’incliner la tête à deux reprises. Ce fut M. Kahn qui répondit pour lui.

— Sans doute, il est maire de Saint-Florent, la petite commune où se trouve sa cristallerie.

— Cela va tout seul, alors ! dit le ministre, ravi de cette occasion de pousser un des siens. Il n’est justement que chevalier… Monsieur Béjuin, vous ne demandez jamais rien. Il faut toujours que je songe à vous.

M. Béjuin eut un sourire et remercia. Il ne demandait jamais rien, en effet. Mais il était sans cesse là, silencieux, modeste, attendant les miettes ; et il ramassait tout.

— Léon Béjuin, n’est-ce pas ? à la place de Pierre-François Jusselin, reprit Rougon en opérant le changement de nom.

— Béjuin, Jusselin, ça rime, fit remarquer le colonel.

Cette observation parut une plaisanterie très-fine. On en rit beaucoup. Enfin, M. Bouchard remporta les pièces signées. Rougon s’était levé ; il avait des inquiétudes dans les jambes, disait-il ; les jours de pluie l’agitaient. Cependant, la matinée s’avançait, les bureaux bourdonnaient au loin ; des pas rapides traversaient les pièces voisines ; des portes s’ouvraient, se fermaient ; tandis que des chuchotements couraient, étouffés par les tentures. Plusieurs employés vinrent encore présenter des