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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— Une pluie du tonnerre de Dieu ! dit le colonel. Je sens une attaque, j’ai eu des élancements dans le pied gauche toute la nuit.

Puis, après un silence :

— Et madame ? demanda M. Kahn.

— Je vous remercie, elle se porte bien, répondit M. Bouchard. Elle doit venir ce matin, je crois.

Il y eut un nouveau silence. Rougon feuilletait toujours les papiers. Il s’arrêta à un nom.

— Isidore Gaudibert… Est-ce qu’il n’a pas fait des vers, celui-là ?

— Parfaitement ! dit M. Bouchard. Il est maire de Barbeville depuis 1852. À chaque heureux événement, pour le mariage de l’empereur, pour les couches de l’impératrice, pour le baptême du prince impérial, il a envoyé à Leurs Majestés des odes pleines de goût.

Le ministre faisait une moue méprisante. Mais le colonel affirma avoir lu les odes ; lui, les trouvait spirituelles. Il en citait particulièrement une, dans laquelle l’empereur était comparé à un feu d’artifice. Et, sans transition, à demi-voix, par satisfaction personnelle sans doute, ces messieurs se mirent à dire le plus grand bien de l’empereur. Maintenant, toute la bande était bonapartiste avec passion. Les deux cousins, le colonel et M. Bouchard, réconciliés, ne se jetant plus à la tête les princes d’Orléans et le comte de Chambord, luttaient désormais à qui ferait l’éloge du souverain en meilleurs termes.

— Ah ! non, pas celui-là ! cria tout à coup Rougon. Ce Jusselin est une créature de Marsy. Je n’ai pas besoin de récompenser les amis de mon prédécesseur.

Et, d’un trait de plume qui écorcha le papier, il biffa le nom.

— Seulement, reprit-il, il faut trouver quelqu’un… C’est une croix d’officier.