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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

paravant les fonctionnaires qui sont là depuis longtemps.

À ce moment, un valet de chambre parut à la porte conduisant aux appartements particuliers. Il annonça que le déjeuner était prêt et que madame Delestang attendait Son Excellence au salon. Le ministre s’était avancé vivement.

— Dites qu’on serve ! Tant pis ! je recevrai plus tard. Je crève de faim.

Il allongea le cou pour jeter un coup d’œil. L’antichambre était toujours pleine. Pas un fonctionnaire, pas un solliciteur, n’avait bougé. Les trois préfets causaient dans leur coin ; les deux dames, devant la table, s’appuyaient du bout de leurs doigts, un peu lasses ; les mêmes têtes, aux mêmes places, demeuraient fixes et muettes, le long des murs, contre les dossiers de velours rouge. Alors, il quitta son cabinet, en donnant à Merle l’ordre de retenir le préfet de la Somme et le directeur du Vœu national.

Madame Rougon, un peu souffrante, était partie la veille pour le Midi, où elle devait passer un mois ; elle avait un oncle du côté de Pau. Delestang, chargé d’une mission très-importante au sujet d’une question agricole, se trouvait en Italie depuis six semaines. Et c’était ainsi que le ministre, avec lequel Clorinde voulait causer longuement, l’avait invitée à venir déjeuner au ministère, en garçons.

Elle l’attendait patiemment, en feuilletant un Traité de droit administratif, qui traînait sur une table.

— Vous devez avoir l’estomac dans les talons, lui dit-il gaiement. J’ai été débordé, ce matin.

Et il lui offrit le bras, il la conduisit à la salle à manger, une pièce immense, dans laquelle les deux couverts, mis sur une petite table devant la fenêtre, étaient comme perdus. Deux grands laquais servaient. Rougon