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LES ROUGON-MACQUART.

et Clorinde, très-sobres tous les deux, mangèrent vite : quelques radis, une tranche de saumon froid, des côtelettes à la purée et un peu de fromage. Ils ne touchèrent pas au vin. Rougon, le matin, ne buvait que de l’eau. À peine échangèrent-ils dix paroles. Puis, quand les deux laquais, après avoir desservi, eurent apporté le café et des liqueurs, la jeune femme lui adressa un léger mouvement des sourcils, qu’il comprit parfaitement.

— C’est bien, dit-il, laissez-nous. Je sonnerai.

Les laquais sortirent. Alors, elle se leva, en donnant des tapes sur sa jupe pour faire tomber les miettes. Elle portait une robe de soie noire, trop grande, chargée de volants, si compliquée, qu’elle y était comme empaquetée, sans qu’on pût distinguer où se trouvaient ses hanches et sa gorge.

— Quelle halle ! murmurait-elle, en allant au fond de la pièce. C’est un salon pour noces et repas de corps, votre salle à manger !

Et elle revint, ajoutant :

— Je voudrais bien fumer ma cigarette, moi !

— Diable ! dit Rougon, c’est qu’il n’y a pas de tabac. Je ne fume jamais.

Mais elle cligna les yeux, elle sortit de sa poche une petite blague en soie rouge brodée d’or, guère plus grosse qu’une bourse. Du bout de ses doigts minces, elle roula une cigarette. Puis, comme ils ne voulaient pas sonner, ce fut une chasse aux allumettes dans toute la pièce. Enfin, sur le coin d’un dressoir, ils trouvèrent trois allumettes, qu’elle emporta soigneusement. Et, la cigarette aux lèvres, allongée de nouveau sur sa chaise, elle se mit à boire son café par petites gorgées, en regardant Rougon bien en face, avec un sourire.

— Eh bien, je suis tout à vous, dit celui-ci, qui souriait également. Vous aviez à causer, causons.