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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— Vous vous rappelez ? murmura-t-elle, il y a deux ans, quand vous avez quitté le Conseil d’État, je vous questionnais, je vous demandais la raison de ce coup de tête. Faisiez-vous le sournois, dans ce temps-là ! Mais, maintenant, vous pouvez parler… Voyons, là, franchement, entre nous, aviez-vous un plan arrêté ?

— On a toujours un plan, répondit-il finement. Je me sentais tomber, je préférais faire le saut moi-même.

— Et votre plan s’est-il exécuté, les choses ont-elles exactement marché comme vous l’aviez prévu ?

Il eut un clignement d’yeux de compère qui se met à l’aise.

— Mais non, vous le savez bien, jamais les choses ne marchent ainsi… Pourvu qu’on arrive !

Et il s’interrompit, lui offrant des liqueurs.

— Hein ? du curaçao ou de la chartreuse ?

Elle accepta un petit verre de chartreuse. Comme il versait, on frappa de nouveau. Elle cacha encore sa cigarette, avec un geste d’impatience. Lui, furieux, sans lâcher le carafon, se leva. Cette fois, c’était pour une lettre scellée d’un large cachet. Il la parcourut d’un regard, la fourra dans une poche de sa redingote, en disant :

— C’est bien ! Et qu’on ne me dérange plus, n’est-ce pas ?

Clorinde, quand il fut revenu en face d’elle, trempa ses lèvres dans sa chartreuse, buvant goutte à goutte, le regardant en dessous, les yeux luisants. Elle était reprise par cet attendrissement qui lui noyait la face. Elle dit très-bas, les deux coudes posés sur la table :

— Non, mon cher, vous ne saurez jamais tout ce qu’on a fait pour vous.

Il s’approcha, posa à son tour ses deux coudes, en s’écriant vivement :