Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
290
LES ROUGON-MACQUART.

— Tiens, c’est vrai, vous allez me conter ça ! Maintenant, il n’y a plus de cachotteries, n’est-ce pas ?… Dites-moi ce que vous avez fait ?

Elle répondit non du menton, longuement, en pinçant sa cigarette des lèvres.

— C’est donc terrible ? Vous craignez que je ne puisse pas payer ma dette, peut-être ?… Attendez, je vais tâcher de deviner… Vous avez écrit au pape et vous avez mis tremper quelque bon Dieu dans mon pot à eau, sans que je m’en aperçoive ?

Mais elle se fâcha de cette plaisanterie. Elle menaçait de s’en aller, s’il continuait.

— Ne riez pas de la religion, disait-elle. Ça vous porterait malheur.

Puis, calmée, chassant de la main la fumée qu’elle soufflait et qui semblait incommoder Rougon, elle reprit, d’une voix particulière :

— J’ai vu beaucoup de monde. Je vous ai fait des amis.

Elle éprouvait un besoin mauvais de lui tout conter. Elle voulait qu’il n’ignorât pas de quelle façon elle avait travaillé à sa fortune. Cet aveu était une première satisfaction, dans sa longue rancune si patiemment cachée. S’il l’avait poussée, elle aurait donné des détails précis. C’était ce retour en arrière qui la rendait rieuse, un peu folle, la peau chaude d’une moiteur dorée.

— Oui, oui, répéta-t-elle, des hommes très-hostiles à vos idées, dont j’ai dû faire la conquête pour vous, mon cher.

Rougon était devenu très-pâle. Il avait compris.

— Ah ! dit-il simplement.

Il cherchait à éviter ce sujet. Mais, effrontément, tranquillement, elle plantait dans ses yeux son large regard noir, riant d’un rire de gorge. Alors, il céda, il l’interrogea.