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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Peu à peu, elle s’affranchissait de sa soumission d’écolière, semblait prendre à Rougon assez de sa force pour se poser en adversaire redoutable.

— Si nous montrions cette lettre, ce serait un homme fini, dit le ministre, poussé à se venger sur le mari de la résistance de la femme. Ah ! le bonhomme n’est pas facile à caser.

— Vous exagérez, mon cher, reprit-elle après un silence. Autrefois, vous juriez qu’il avait le plus bel avenir. Il possède des qualités très-sérieuses et très-solides… Allez, ce ne sont pas les hommes vraiment forts qui vont le plus loin !

Rougon continuait sa promenade. Il haussait les épaules.

— Votre intérêt est qu’il entre au ministère. Vous y compterez un ami. Si réellement le ministre de l’agriculture et du commerce se retire pour des raisons de santé, comme on le dit, l’occasion est superbe. Mon mari est compétent, et sa mission en Italie le désigne au choix de l’empereur… Vous savez que l’empereur l’aime beaucoup ; ils s’entendent très-bien ensemble ; ils ont les mêmes idées… Un mot de vous enlèverait l’affaire.

Il fit encore deux ou trois tours sans répondre. Puis, s’arrêtant devant elle :

— Je veux bien, après tout… Il y en a de plus bêtes… Mais je fais cela uniquement pour vous. Je désire vous désarmer. Hein ! vous ne devez pas être bonne. N’est-ce pas, vous êtes très-rancunière ?

Il plaisantait. Elle se mit à rire également, en répétant :

— Oui, oui, très-rancunière… Je me souviens.

Puis, comme elle le quittait, il la retint un instant à la porte. À deux reprises, ils se serrèrent fortement les doigts, sans ajouter un mot.