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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— Ah ! vous voilà, monsieur, dit le ministre d’une voix rude. Il est impossible que les choses continuent sur un pareil pied, je vous en préviens !

Et, tout en marchant, il accabla la presse de gros mots. Elle désorganisait, elle démoralisait, elle poussait à tous les désordres. Il préférait aux journalistes les brigands qui assassinent sur les grandes routes ; on guérit d’un coup de poignard, tandis que les coups de plume sont empoisonnés ; et il trouva d’autres comparaisons encore plus saisissantes. Peu à peu, il se fouettait lui-même, il s’agitait furieusement, il roulait sa voix avec un fracas de tonnerre. Le directeur, resté debout, baissait la tête sous l’orage, la mine humble et consternée. Il finit par demander :

— Si Son Excellence daignait m’expliquer, je ne comprends pas bien pourquoi…

— Comment, pourquoi ! s’écria Rougon, exaspéré.

Il se précipita, étala le journal sur son bureau, en montra les colonnes toutes balafrées à coups de crayon rouge.

— Il n’y a pas dix lignes qui ne soient répréhensibles ! Dans votre article de tête, vous paraissez mettre en doute l’infaillibilité du gouvernement en matière de répression. Dans cet entrefilet, à la seconde page, vous semblez faire une allusion à ma personne, en parlant des parvenus dont le triomphe est insolent. Dans vos faits divers, traînent des histoires ordurières, des attaques stupides contre les hautes classes.

Le directeur, épouvanté, joignait les mains, tâchait de placer un mot.

— Je jure à Son Excellence… Je suis désespéré que Son Excellence ait pu supposer un instant… Moi qui ai pour Son Excellence une si vive admiration…

Mais Rougon ne l’écoutait pas.