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LES ROUGON-MACQUART.

avait une tête magnifique, très-chauve, mais d’une de ces calvities précoces qui plaisent aux femmes. Son crâne nu qui agrandissait démesurément son front, lui donnait un air de vaste intelligence. Sa face rosée, un peu carrée, sans un poil de barbe, rappelait ces faces correctes et pensives que les peintres d’imagination aiment à prêter aux grands hommes politiques.

— Merle vous est très-dévoué, finit-il par dire.

Et il replongea la tête dans le carton qu’il fouillait. Rougon, qui avait tordu une poignée de papiers, les alluma à la bougie, puis les jeta dans une large coupe de bronze, posée sur un coin du bureau. Il les regarda brûler.

— Delestang, vous ne toucherez pas aux cartons du bas, reprit-il. Il y a là des dossiers dans lesquels je puis seul me reconnaître.

Tous deux, alors, continuèrent leur besogne en silence, pendant un gros quart d’heure. Il faisait très-beau, le soleil entrait par les trois grandes fenêtres donnant sur le quai. Une de ces fenêtres, entr’ouverte, laissait passer les petits souffles frais de la Seine, qui soulevaient par moments la frange de soie des rideaux. Des papiers froissés, jetés sur le tapis, s’envolaient avec un léger bruit.

— Tenez, voyez donc ça, dit Delestang, en remettant à Rougon une lettre qu’il venait de trouver.

Rougon lut la lettre et l’alluma tranquillement à la bougie. C’était une lettre délicate. Et ils causèrent, par phrases coupées, s’interrompant à toutes les minutes, le nez dans des paperasses. Rougon remerciait Delestang d’être venu l’aider. Ce « bon ami » était le seul avec lequel il pût à l’aise laver le linge sale de ses cinq années de présidence. Il l’avait connu à l’Assemblée législative, où ils siégeaient tous les deux sur le même banc, côte à