Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
303
SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Vers neuf heures pourtant, on put croire que la ville était dans l’antichambre. Il y eut un bruit imposant de pas. Puis, un domestique vint dire que monsieur le commissaire central désirait présenter ses hommages à Son Excellence. Et ce fut Gilquin qui entra, Gilquin superbe, en habit, portant des gants paille et des bottines de chevreau. Du Poizat l’avait casé dans son département. Gilquin, très-convenable, ne gardait qu’un dandinement un peu osé des épaules et la manie de ne pas se séparer de son chapeau ; il tenait ce chapeau appuyé contre sa hanche, légèrement renversé, dans une pose étudiée sur quelque gravure de tailleur. Il s’inclina devant Rougon, en murmurant avec une humilité exagérée :

— Je me rappelle au bon souvenir de son Excellence, que j’ai eu l’honneur de rencontrer plusieurs fois à Paris.

Rougon sourit. Ils causèrent un instant. Gilquin passa ensuite dans la salle à manger, où l’on venait de servir le thé. Il y trouva M. Kahn, en train de revoir, sur un coin de la table, la liste des invitations pour le lendemain. Dans le petit salon, maintenant, on parlait de la grandeur du règne ; Du Poizat, debout à côté de Rougon, exaltait l’empire ; et tous deux échangeaient des saluts, comme s’ils s’étaient félicités d’une œuvre personnelle, en face des Niortais béants d’une admiration respectueuse.

— Sont-ils forts, ces mâtins-là ! murmura Gilquin, qui suivait la scène par la porte grande ouverte.

Et, tout en versant du rhum dans son thé, il poussa le coude de M. Kahn. Du Poizat, maigre et ardent, avec ses dents blanches mal rangées et sa face d’enfant fiévreux, où le triomphe avait mis une flamme, faisait rire d’aise Gilquin, qui le trouvait « très-réussi ».

— Hein ? Vous ne l’avez pas vu arriver dans le dépar-