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LES ROUGON-MACQUART.

tement ? continua-t-il à voix basse. Moi, j’étais avec lui. Il tapait les pieds d’un air rageur en marchant. Allez, il devait en avoir gros sur le cœur contre les gens d’ici. Depuis qu’il est dans sa préfecture, il se régale à se venger de son enfance. Et les bourgeois qui l’ont connu pauvre diable autrefois, n’ont pas envie aujourd’hui de sourire, quand il passe, je vous en réponds !… Oh ! c’est un préfet solide, un homme tout à son affaire. Il ne ressemble guère à ce Langlade que nous avons remplacé, un garçon à bonnes fortunes, blond comme une fille… Nous avons trouvé des photographies de dames très-décolletées jusque dans les dossiers du cabinet.

Gilquin se tut un instant. Il croyait s’apercevoir que, d’un angle du petit salon, la femme du proviseur ne le quittait pas des yeux. Alors, voulant développer les grâces de son buste, il se plia pour dire de nouveau à M. Kahn :

— Vous a-t-on raconté l’entrevue de Du Poizat avec son père ? Oh ! l’aventure la plus amusante du monde !… Vous savez que le vieux est un ancien huissier qui a amassé un magot en prêtant à la petite semaine, et qui vit maintenant comme un loup, au fond d’une vieille maison en ruine, avec des fusils chargés dans son vestibule… Or, Du Poizat, auquel il a prédit vingt fois l’échafaud, rêvait depuis longtemps de l’écraser. Ça entrait pour une bonne moitié dans son désir d’être préfet ici… Un matin donc, mon Du Poizat endosse son plus bel uniforme, et, sous le prétexte de faire une tournée, va frapper à la porte du vieux. On parlemente un bon quart d’heure. Enfin le vieux ouvre. Un petit vieillard blême, qui regarde d’un air hébété les broderies de l’uniforme. Et savez-vous ce qu’il a dit, dès la seconde phrase, quand il a su que son fils était préfet ? « Hein ! Léopold, n’envoie plus toucher les contribu-