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LES ROUGON-MACQUART.

— Vous vous souvenez, je vous ai témoigné des craintes, un jour. J’avais un pressentiment… Martineau devenait républicain. Aux dernières élections, il s’était exalté et avait fait une propagande acharnée pour le candidat de l’opposition. Je connaissais des détails que je ne veux pas dire. Enfin, tout cela devait mal tourner… Dès mon arrivée à Coulonges, au Lion d’or, où nous avons pris une chambre, j’ai questionné les gens, j’en ai appris encore plus long. Martineau a fait toutes les bêtises. Ça n’étonnerait personne dans le pays, s’il était arrêté. On s’attend à voir les gendarmes l’emmener d’un jour à l’autre… Vous pensez quelle secousse pour moi ! Et j’ai songé à vous, mon ami…

De nouveau, sa voix s’éteignit dans des sanglots. Rougon cherchait à la rassurer. Il parlerait de l’affaire à Du Poizat, il arrêterait les poursuites, si elles étaient commencées. Même il laissa échapper cette parole :

— Je suis le maître, allez dormir tranquille.

Madame Correur hochait la tête, en roulant son mouchoir, les yeux séchés. Elle finit par reprendre, à demi-voix :

— Non, non, vous ne savez pas. C’est plus grave que vous ne croyez… Il mène madame Martineau à la messe et reste à la porte, en affectant de ne jamais mettre le pied dans l’église, ce qui est un sujet de scandale chaque dimanche. Il fréquente un ancien avocat retiré là-bas, un homme de 48, avec lequel on l’entend pendant des heures parler de choses terribles. On a souvent aperçu des hommes de mauvaise mine se glisser la nuit dans son jardin, sans doute pour venir prendre un mot d’ordre.

À chaque détail, Rougon haussait les épaules ; mais mademoiselle Herminie Billecoq ajouta vivement, comme fâchée d’une telle tolérance :

— Et les lettres qu’il reçoit de tous les pays, avec des