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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— Oui, oui, murmura-t-elle, les dents serrées, je l’ai vu. Madame Martineau n’a pas osé me mettre à la porte. Elle avait pris la pelle, elle faisait brûler du sucre… Ce pauvre frère ! Je savais qu’il était malade, mais ça m’a donné un coup tout de même de le voir si décharné. Il m’a promis de ne pas me déshériter ; cela serait contraire à ses principes. Le testament est fait, la fortune doit être partagée entre moi et madame Martineau… N’est-ce pas, Herminie ?

— La fortune doit être partagée, affirma la grande fille. Il l’a dit quand vous êtes entrée, il l’a répété quand il vous a montré la porte. Oh ! c’est sûr ! je l’ai entendu.

Cependant, Rougon poussait les deux femmes, en disant :

— Eh bien, je suis enchanté ! Vous êtes plus tranquille maintenant. Mon Dieu, les querelles de famille, ça finit toujours par s’arranger… Allons, bonsoir. Je vais me coucher.

Mais madame Correur l’arrêta. Elle avait tiré son mouchoir de la poche, elle se tamponnait les yeux, prise d’une crise brusque de désespoir.

— Ce pauvre Martineau !… Il a été si bon, il m’a pardonné avec tant de simplicité !… Si vous saviez, mon ami… C’est pour lui que je suis accourue, c’est pour vous supplier en sa faveur…

Les larmes lui coupèrent la voix. Elle sanglotait. Rougon, étonné, ne comprenant pas, regardait les deux femmes. Mademoiselle Herminie Billecoq, elle aussi, pleurait, mais plus discrètement ; elle était très-sensible, elle avait l’attendrissement contagieux. Ce fut elle qui put balbutier la première :

— Monsieur Martineau s’est compromis dans la politique.

Alors, madame Correur se mit à parler avec volubilité.