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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

milieu de la campagne endormie, le cortége passait, avec le roulement sourd des roues et la cadence monotone du galop des chevaux. Pas une parole ne fut dite pendant le trajet. Gilquin arrangeait la phrase qu’il prononcerait en abordant la femme du proviseur. Madame Martineau, par moments, se levait toute droite dans son cabriolet, croyant avoir entendu un râle ; mais c’était à peine si elle apercevait, en avant, la caisse du coupé, qui roulait, noire et silencieuse.

On entra dans Niort à dix heures et demie. Le commissaire, pour éviter de traverser la ville, fit prendre par les remparts. Aux prisons, il fallut carillonner. Quand le guichetier vit le prisonnier qu’on lui amenait, si blanc, si roide, il monta réveiller le directeur. Celui-ci, un peu souffrant, arriva bientôt en pantoufles. Mais il se fâcha, il refusa absolument de recevoir un homme dans un pareil état. Est-ce qu’on prenait les prisons pour un hôpital ?

— Puisqu’il est arrêté maintenant, que voulez-vous qu’on en fasse, demanda Gilquin, mis hors de lui par ce dernier incident.

— Ce qu’on voudra, monsieur le commissaire, répondit le directeur. Je vous répète qu’il n’entrera pas ici. Je n’accepterai jamais une pareille responsabilité.

Madame Martineau avait profité de la discussion pour monter dans le coupé, auprès de son mari. Elle proposa de le mener à l’hôtel.

— Oui, à l’hôtel, au diable, où vous voudrez ! cria Gilquin. J’en ai assez, à la fin ! Remportez-le !

Pourtant, il poussa le devoir jusqu’à accompagner le notaire à l’hôtel de Paris, désigné par madame Martineau elle-même. La place de la Préfecture commençait à se vider ; seuls les gamins sautaient encore sur les trottoirs, tandis que des couples de bourgeois, lentement,