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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Il voulut parler, mais elle ne lui en laissa pas le temps.

— Il a été arrêté aujourd’hui. Je viens de le voir… Mon Dieu ! mon Dieu !

— Ne vous désolez pas, dit-il enfin. On instruira son affaire. J’espère bien qu’on le relâchera.

Madame Correur cessa de se tamponner les yeux. Elle le regarda, en s’écriant de sa voix naturelle :

— Mais il est mort !

Et elle reprit tout de suite son ton éploré, la figure de nouveau au fond de son mouchoir.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! mon pauvre Martineau !

Mort ! Rougon sentit un petit frisson lui courir à fleur de peau. Il ne trouva pas une parole. Pour la première fois, il eut conscience d’un trou devant lui, d’un trou plein d’ombre, dans lequel, peu à peu, on le poussait. Voilà que cet homme était mort, maintenant ! Jamais il n’avait voulu cela. Les faits allaient trop loin.

— Hélas ! oui, le pauvre cher homme, il est mort, racontait avec de longs soupirs mademoiselle Herminie Billecoq. Il paraît qu’on a refusé de le recevoir aux prisons. Alors, quand nous l’avons vu arriver à l’hôtel dans un si triste état, madame est descendue et a forcé la porte, en criant qu’elle était sa sœur. Une sœur, n’est-ce pas ? a toujours le droit de recevoir le dernier soupir de son frère. C’est ce que j’ai dit à cette coquine de madame Martineau, qui parlait encore de nous chasser. Elle a bien été obligée de nous laisser une place devant le lit… Oh ! mon Dieu, ç’a été fini très-vite. Il n’a pas râlé plus d’une heure. Il était couché sur le lit, tout habillé de noir ; on aurait cru un notaire allant à un mariage. Et il s’est éteint comme une chandelle, avec une toute petite grimace. Ça n’a pas dû lui faire beaucoup de mal.