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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— J’ai justement l’ouvrage, déclara-t-il enfin.

Et il se mit à lire le chapitre en question. Il lisait d’une façon douce et monotone. Sa belle tête de grand homme d’État, à certains passages, prenait une expression de gravité extraordinaire. L’empereur écoutait d’un air profond. Lui, semblait particulièrement jouir des morceaux attendrissants, des pages où l’auteur avait prêté à ses paysans un parler d’une niaiserie enfantine. Quant à Leurs Excellences, elles étaient enchantées. Quelle adorable histoire ! Rougon lâché par Delestang, auquel il avait fait donner un portefeuille, uniquement pour s’appuyer sur lui, au milieu de la sourde hostilité du conseil ! Ses collègues lui reprochaient ses continuels empiètements de pouvoir, son besoin de domination qui le poussait à les traiter en simples commis, tandis qu’il affectait d’être le conseiller intime et le bras droit de Sa Majesté. Et il allait se trouver complètement isolé ! Ce Delestang était un homme à bien accueillir.

— Il y a peut-être un ou deux mots, murmura l’empereur, quand la lecture fut terminée. Mais, en somme, je ne vois pas… N’est-ce pas, messieurs ?

— C’est tout à fait innocent, affirmèrent les ministres.

Rougon évita de répondre. Il parut plier les épaules. Puis, il revint de nouveau à la charge, contre Delestang seul. Pendant quelques minutes encore, la discussion continua entre eux, par phrases brèves. Le bel homme s’aguerrissait, devenait mordant. Alors, peu à peu, Rougon se souleva. Il entendait pour la première fois son pouvoir craquer sous lui. Tout d’un coup, il s’adressa à l’empereur, debout, le geste véhément.

— Sire, c’est une misère, l’estampille sera accordée, puisque Votre Majesté, dans sa sagesse, pense que le livre n’offre aucun danger. Mais je dois vous le déclarer,