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LES ROUGON-MACQUART.

l’empereur, il reprit, les lèvres un peu tremblantes :

— J’ai le regret de n’être pas de la même opinion que mon ami et collègue monsieur le ministre de l’intérieur… Certes, l’ouvrage pourrait contenir des restrictions et insister davantage sur la lenteur prudente avec laquelle tout progrès vraiment utile doit s’accomplir. Mais les Veillées du bonhomme Jacques ne m’en paraissent pas moins une œuvre conçue dans d’excellentes intentions. Les vœux qui s’y trouvent exprimés pour l’avenir, ne blessent en rien les institutions impériales. Ils en sont, au contraire, comme l’épanouissement légitimement attendu…

Il se tut de nouveau. Malgré le soin qu’il mettait à se tourner vers l’empereur, il devinait, de l’autre côté de la table, la masse énorme de Rougon, tassé sur les coudes, la face pâle de surprise. D’ordinaire, Delestang était toujours de l’avis du grand homme. Aussi ce dernier espéra-t-il un instant ramener d’un mot le disciple révolté.

— Voyons, il faut citer un exemple, cria-t-il en nouant et en faisant craquer ses mains. Je regrette de n’avoir pas apporté l’ouvrage… Tenez, ceci, un chapitre dont je me souviens. Le bonhomme Jacques parle de deux mendiants qui vont de porte en porte, dans le village ; et, sur une question du maître d’école, il déclare qu’il va enseigner aux paysans le moyen de ne jamais avoir un seul pauvre parmi eux. Suit tout un système compliqué pour l’extinction du paupérisme. On est là en pleine théorie communiste… Monsieur le ministre de l’agriculture et du commerce ne peut vraiment approuver ce chapitre.

Delestang, brusquement brave, osa regarder Rougon en face.

— Oh ! en pleine théorie communiste, dit-il, vous allez bien loin ! Je n’ai vu là qu’un exposé ingénieux des principes de l’association.

Tout en parlant, il fouillait dans sa serviette.