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LES ROUGON-MACQUART.

tions, elle reste le foyer toujours ardent où s’allument les incendies. Elle deviendra seulement utile, le jour où l’on aura pu la dompter et employer sa puissance comme un instrument gouvernemental… Je ne parle pas des autres libertés, liberté d’association, liberté de réunion, liberté de tout faire. On les demande respectueusement dans les Veillées du bonhomme Jacques. Plus tard, on les exigera. Voilà mes terreurs. Que Votre Majesté m’entende bien, la France a besoin de sentir longtemps sur elle le poids d’un bras de fer…

Il se répétait, il défendait son pouvoir avec un emportement croissant. Pendant près d’une heure, il continua ainsi, à l’abri du principe autoritaire, s’en couvrant, s’en enveloppant, en homme qui use de toute la résistance de son armure. Et, malgré son apparente passion, il gardait assez de sang-froid pour surveiller ses collègues, pour guetter sur leurs visages l’effet de ses paroles. Ceux-ci avaient des faces blanches, immobiles. Brusquement, il se tut.

Il y eut un assez long silence. L’empereur s’était remis à jouer avec le couteau à papier.

— Monsieur le ministre de l’intérieur voit trop en noir la situation de la France, dit enfin le ministre d’État. Rien, je pense, ne menace nos institutions. L’ordre est absolu. Nous pouvons nous reposer dans la haute sagesse de Sa Majesté. C’est même manquer de confiance en elle que de témoigner des craintes…

— Sans doute, sans doute, murmurèrent plusieurs voix.

— J’ajouterai, dit à son tour le ministre des affaires étrangères, que jamais la France n’a été plus respectée de l’Europe. Partout, à l’étranger, on rend hommage à la politique ferme et digne de Sa Majesté. L’opinion des chancelleries est que notre pays est entré pour toujours dans une ère de paix et de grandeur.