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LES ROUGON-MACQUART.

faire les honneurs de chez elle. Malgré ses efforts de mémoire, cela ne l’empêcha pas, à deux reprises, d’oublier si complétement ses invités, qu’elle demeura stupéfaite en voyant tant de monde autour de son lit, quand elle arriva à minuit passé. Un jeudi, dans les derniers jours de mai, par extraordinaire, elle rentra vers cinq heures ; elle était sortie à pied, et avait reçu une averse depuis la place de la Concorde, sans se résigner à payer un fiacre de trente sous pour monter les Champs-Élysées. Toute trempée, elle passa immédiatement dans son cabinet de toilette, où sa femme de chambre Antonia, la bouche barbouillée d’une tartine de confitures, la déshabilla en riant très-fort de l’égouttement de ses jupes, qui pissaient l’eau sur le parquet.

— Il y a là un monsieur, dit enfin cette dernière, quand elle se fut assise par terre pour lui retirer ses bottines. Il attend depuis une heure.

Clorinde lui demanda comment était le monsieur. Alors, la femme de chambre resta par terre, mal peignée, la robe grasse, montrant ses dents blanches dans sa face brune. Le monsieur était gros, pâle, l’air sévère.

— Ah ! oui, monsieur de Reuthlinguer, le banquier, s’écria la jeune femme. C’est vrai, il devait venir à quatre heures. Eh bien ! qu’il attende… Préparez-moi un bain, n’est-ce pas ?

Et elle s’allongea tranquillement dans la baignoire, cachée derrière un rideau, au fond du cabinet. Là, elle lut des lettres arrivées pendant son absence. Au bout d’une grande demi-heure, Antonia, sortie depuis quelques minutes, reparut en murmurant :

— Le monsieur a vu madame rentrer. Il voudrait bien lui parler.

— Tiens ! je l’oubliais, le baron ! dit Clorinde, qui se