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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

mit debout au milieu de la baignoire. Vous allez m’habiller.

Mais elle eut, ce soir-là, des caprices de toilette extraordinaires. Dans l’abandon où elle laissait sa personne, elle était ainsi prise parfois d’un accès d’idolâtrie pour son corps. Alors, elle inventait des raffinements, nue devant sa glace, se faisant frotter les membres d’onguents, de baumes, d’huiles aromatiques, connus d’elle seule, achetés à Constantinople, chez le parfumeur du sérail, disait-elle, par un diplomate italien de ses amis. Et pendant qu’Antonia la frottait, elle gardait des attitudes de statue. Cela devait lui donner une peau blanche, lisse, impérissable comme le marbre ; une certaine huile surtout, dont elle comptait elle-même les gouttes sur un tampon de flanelle, avait la propriété miraculeuse d’effacer à l’instant les moindres rides. Puis, elle se livrait à un minutieux examen de ses mains et de ses pieds. Elle aurait passé une journée à s’adorer.

Pourtant, au bout de trois quarts d’heure, lorsque Antonia lui eut passé une chemise et un jupon, elle se souvint brusquement.

— Et le baron !… Ah ! tant pis, faites-le entrer ! Il sait bien ce que c’est qu’une femme.

Il y avait plus de deux heures que M. de Reuthlinguer attendait dans le boudoir, patiemment assis, les mains nouées sur les genoux. Blême, froid, de mœurs austères, le banquier, qui possédait une des plus grosses fortunes de l’Europe, faisait ainsi antichambre chez Clorinde, depuis quelque temps, jusqu’à deux et trois fois par semaine. Il l’attirait même chez lui, dans cet intérieur pudibond et d’un rigorisme glacial, où le débraillé de la jeune femme consternait les valets.

— Bonjour, baron ! cria-t-elle. On me coiffe, ne regardez pas.