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LES ROUGON-MACQUART.

fond de son estomac. Drapée dans sa grande blouse de velours noir, le buste appuyé sur trois oreillers, elle était d’une royale beauté, la face blanche, les bras nus, pareille à une de ces figures couchées qui rêvent, adossées contre des monuments. À ses pieds, Luigi Pozzo grattait doucement les cordes d’une guitare ; il avait quitté la peinture pour la musique.

— Asseyez-vous, n’est-ce pas ? murmura-t-elle. Vous m’excusez. J’ai une bête qui est entrée je ne sais comment…

Pozzo continuait à gratter sa guitare en chantant très-bas, l’air ravi, perdu dans une contemplation. Madame Correur roula un fauteuil près de la jeune femme. M. Kahn et M. Béjuin finirent par trouver des chaises libres. Il n’était pas facile de s’asseoir, les cinq ou six siéges de la chambre disparaissant sous des tas de jupons. Lorsque, cinq minutes plus tard, le colonel Jobelin et son fils Auguste se présentèrent, ils durent rester debout.

— Petit, dit Clorinde à Auguste, qu’elle tutoyait toujours, malgré ses dix-sept ans, va donc chercher deux chaises dans le cabinet de toilette.

C’étaient des chaises cannées, toutes dévernies par les linges mouillés qui traînaient sans cesse sur les dossiers. Une seule lampe, recouverte d’une dentelle de papier rose, éclairait la chambre ; une autre se trouvait posée dans le cabinet de toilette, et une troisième dans le boudoir, dont les portes grandes ouvertes montraient des enfoncements crépusculaires, des pièces vagues où semblaient brûler des veilleuses. La chambre elle-même, autrefois mauve tendre, passée aujourd’hui au gris sale, restait comme pleine d’une buée suspendue ; on distinguait à peine des coins de fauteuil arrachés, des traînées de poussière sur les meubles, une large