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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

tache d’encre étalée au beau milieu du tapis, quelque encrier tombé là, qui avait éclaboussé les boiseries ; au fond, les rideaux du lit étaient tirés, sans doute pour cacher le désordre des couvertures. Et, dans cette ombre, montait une odeur forte, comme si tous les flacons du cabinet de toilette étaient restés débouchés. Clorinde s’entêtait, même par les temps chauds, à ne jamais ouvrir une fenêtre.

— Ça sent joliment bon chez vous, dit madame Correur pour la complimenter.

— C’est moi qui sens bon, répondit naïvement la jeune femme.

Et elle parla des essences qu’elle tenait du parfumeur même des sultanes. Elle mit un de ses bras nus sous le nez de madame Correur. Sa blouse de velours noir avait un peu glissé, ses pieds passaient, chaussés de petites pantoufles rouges. Pozzo, pâmé, grisé par les parfums violents qui s’exhalaient d’elle, tapait son instrument à légers coups de pouce.

Cependant, au bout de quelques minutes, la conversation tourna fatalement sur Rougon, comme cela arrivait chaque jeudi et chaque dimanche. La bande se réunissait uniquement pour épuiser cet éternel sujet, une rancune sourde et grandissante, un besoin de se soulager par des récriminations sans fin. Clorinde ne se donnait même plus la peine de les exciter ; ils apportaient toujours quelques nouveaux griefs, mécontents, jaloux, aigris de tout ce que Rougon avait fait pour eux, travaillés par une intense fièvre d’ingratitude.

— Est-ce que vous avez vu le gros homme, aujourd’hui ? demanda le colonel.

Maintenant, Rougon n’était plus « le grand homme ».

— Non, répondit Clorinde. Nous le verrons peut-être ce soir. Mon mari s’entête à me l’amener.