Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LES ROUGON-MACQUART.

Le député eut un geste de découragement.

— C’est de la persécution, murmura-t-il. Qu’est-ce que ça leur ferait de passer devant mon usine ?… Mais je protesterai, j’écrirai un mémoire contre leur tracé… Je retourne à Bressuire avec vous.

— Non, ne m’attendez pas, dit Du Poizat en souriant. Il paraît que je vais donner ma démission.

M. Kahn se laissa aller dans son fauteuil, comme sous le coup d’une dernière catastrophe. Il frottait son collier de barbe à deux mains, il regardait Rougon d’un air suppliant. Celui-ci avait lâché ses dossiers. Les coudes sur le bureau, il écoutait.

— Vous voulez un conseil, n’est-ce pas ? dit-il enfin d’une voix rude. Eh bien ! faites les morts, mes bons amis ; tâchez que les choses restent en l’état, et attendez que nous soyons les maîtres… Du Poizat va donner sa démission, parce que, s’il ne la donnait pas, il la recevrait avant quinze jours. Quant à vous, Kahn, écrivez à l’empereur, empêchez par tous les moyens que la concession ne soit accordée à la Compagnie de l’Ouest. Vous ne l’obtiendrez certes pas, mais tant qu’elle ne sera à personne, elle pourra être à vous, plus tard.

Et, comme les deux hommes hochaient la tête :

— C’est tout ce que je puis pour vous, reprit-il plus brutalement. Je suis par terre, laissez-moi le temps de me relever… Est-ce que j’ai la mine triste ? Non, n’est-ce pas ? Eh bien ! faites-moi le plaisir de ne plus avoir l’air de suivre mon convoi… Moi, je suis ravi de rentrer dans la vie privée. Enfin, je vais donc pouvoir me reposer un peu !

Il respira fortement, croisant les bras, berçant son grand corps. Et M. Kahn ne parla plus de son affaire. Il affecta l’air dégagé de Du Poizat, tenant à montrer une liberté d’esprit complète. Delestang avait attaqué un autre