Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/384

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
384
LES ROUGON-MACQUART.

près-midi, on disait très-carrément que Rougon tombait pour avoir prêté son nom à cette grande flouerie du chemin de fer de Niort à Angers. On ne manque pas de nez à ce point-là ! Cet imbécile de gros homme qui va tirer des pétards et prononcer des discours d’une lieue, dans lesquels il se permet même d’engager la responsabilité de l’empereur !… Voilà, mes bons amis ! C’est Kahn qui nous a fichus en plein gâchis. Hein, Béjuin, c’est aussi votre opinion ?

M. Béjuin approuva vivement de la tête. Il avait déjà donné toute son adhésion aux paroles de madame Correur et de M. Kahn. Clorinde, la tête toujours renversée, s’amusait à mordre le gland de sa cordelière, qu’elle promenait sur sa figure comme pour se chatouiller ; et elle ouvrait de grands yeux qui riaient silencieusement en l’air.

— Chut ! souffla-t-elle.

M. Kahn rentrait, en coupant un cigare du bout des dents. Il l’alluma, jeta trois ou quatre grosses bouffées ; on fumait dans la chambre de la jeune femme. Puis, il reprit, continuant la conversation, concluant :

— Enfin, si Rougon prétend avoir ébranlé son pouvoir pour nous servir, je déclare que je nous trouve au contraire horriblement compromis par sa protection. Il a une façon brutale de pousser les gens qui leur casse le nez contre les murs… D’ailleurs, avec ses coups de poing à assommer les bœufs, le voilà de nouveau par terre. Merci ! je n’ai pas envie de le ramasser une seconde fois ! Quand un homme ne sait pas ménager son crédit, c’est qu’il n’a pas des idées nettes. Il nous compromet, entendez-vous, il nous compromet !… Moi, ma foi ! j’ai de trop lourdes responsabilités, je l’abandonne.

Il hésitait pourtant, sa voix faiblissait, tandis que le colonel et madame Correur baissaient la tête, sans doute