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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

laient à son cou. Flaminio, le grand laquais à longue barbe, à mine de bandit, la soutenait par derrière, la portait presque entre ses bras. Et elle semblait n’avoir pas vieilli, la face blanche, gardant son sourire continu d’ancienne reine de beauté.

— Attends, maman ! reprit Clorinde. Je vais te donner ma chaise longue. Moi, je m’allongerai sur le lit… Je ne suis pas bien. J’ai une bête qui est entrée. Voilà qu’elle recommence à me mordre.

Il y eut tout un déménagement. Pozzo et madame Correur conduisirent la jeune femme à son lit ; mais il fallut tirer les couvertures et taper les oreillers. Pendant ce temps, la comtesse Balbi se coucha sur la chaise longue. Derrière elle, Flaminio resta debout, noir, muet, couvant d’un regard abominable les personnes qui se trouvaient là.

— Ça ne vous fait rien que je me couche, n’est-ce pas ? répétait la jeune femme. Je suis beaucoup mieux couchée… Je ne vous renvoie pas, au moins. Il faut rester.

Elle s’était allongée, le coude enfoncé dans un oreiller, étalant sa blouse noire, dont l’ampleur faisait sur la couverture blanche une mare d’encre. Personne, d’ailleurs, ne songeait à s’en aller. Madame Correur causait à demi-voix avec Pozzo de la perfection des formes de Clorinde, qu’ils venaient de soutenir. M. Kahn, M. Béjuin et le colonel présentaient leurs compliments à la comtesse. Celle-ci s’inclinait avec son sourire. Puis, sans se retourner, de temps à autre, elle disait, d’une voix très-douce :

— Flaminio !

Le grand laquais comprenait, soulevait un coussin, apportait un tabouret, tirait de sa poche un flacon d’odeur, de son air farouche de brigand en habit noir.