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LES ROUGON-MACQUART.

À ce moment, Auguste commit un malheur. Il avait rôdé dans les trois pièces, s’était arrêté à tous les chiffons de femme qui traînaient. Puis, commençant à s’ennuyer, il avait eu l’idée de boire des verres d’eau sucrée coup sur coup. Clorinde le surveillait depuis un instant, regardant le sucrier se vider, lorsqu’il cassa le verre, dans lequel il tapait la cuiller violemment.

— C’est le sucre ! il en met trop ! cria-t-elle.

— Imbécile ! dit le colonel. Tu ne peux pas boire de l’eau tranquillement ?… Matin et soir, un grand verre. Il n’y a rien de meilleur. Ça préserve de toutes les maladies.

Heureusement, M. Bouchard entra. Il venait un peu tard, à dix heures passées, parce qu’il avait dû dîner en ville. Et il parut surpris de ne pas trouver là sa femme.

— M. d’Escorailles s’était chargé de l’amener, dit-il, et j’avais promis de la reprendre en passant.

Au bout d’une demi-heure, en effet, madame Bouchard arriva, accompagnée de M. d’Escorailles et de M. La Rouquette. Après une brouille d’une année, le jeune marquis s’était remis avec la jolie blonde ; maintenant, leur liaison tournait à l’habitude, ils se reprenaient pour huit jours, ne pouvaient s’empêcher de se pincer et de s’embrasser derrière les portes, lorsqu’ils se rencontraient. Cela allait de soi, naturellement, avec des renouveaux de désir très-vifs. Comme ils venaient chez les Delestang en voiture découverte, ils avaient rencontré M. La Rouquette. Et tous les trois s’en étaient allés au Bois, riant haut, lâchant des plaisanteries risquées ; même M. d’Escorailles avait cru un moment rencontrer la main du député, derrière la taille de madame Bouchard. Quand ils entrèrent, ils apportèrent une bouffée de gaieté, la fraîcheur des allées noires du Bois, le mystère des feuilles endormies, où s’étouffait la polissonnerie de leurs rires.