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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

la visite domiciliaire chez les sœurs de la Sainte-Famille. S’il tombait, au contraire, il voulait tomber de toute sa hauteur, en homme fort.

Justement, le jour où le sort du ministre devait se décider, il y avait dans l’Orangerie des Tuileries, une vente de charité, en faveur d’une crèche patronnée par l’impératrice. Tous les familiers du palais, tout le haut monde officiel allait sûrement s’y rendre, pour faire leur cour. Rougon résolut d’y montrer sa face calme. C’était une bravade : regarder en face les gens qui le guetteraient de leurs regards obliques, promener son tranquille mépris au milieu des chuchotements de la foule. Vers trois heures, il donnait un dernier ordre au chef du personnel, avant de partir, quand son valet de chambre vint lui dire qu’un monsieur et une dame insistaient vivement pour le voir, à son appartement particulier. La carte portait les noms du marquis et de la marquise d’Escorailles.

Les deux vieillards, que le valet, trompé par leur mise presque pauvre, avait laissés dans la salle à manger, se levèrent cérémonieusement. Rougon se hâta de les mener au salon, tout ému de leur présence, vaguement inquiet. Il s’exclama sur leur brusque voyage à Paris, voulut se montrer très-aimable. Mais eux restaient pincés, roides, la mine grise.

— Monsieur, dit enfin le marquis, vous excuserez la démarche que nous nous trouvons obligés de faire… Il s’agit de notre fils Jules. Nous désirerions le voir quitter l’administration, nous vous demandons de ne pas le garder davantage auprès de votre personne.

Et, comme le ministre les regardait d’un air d’extrême surprise :

— Les jeunes gens ont la tête légère, continua-t-il. Nous avons écrit deux fois à Jules pour lui exposer nos