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LES ROUGON-MACQUART.

raisons, en le priant de se mettre à l’écart… Puis, comme il n’obéissait pas, nous nous sommes décidés à venir. C’est la deuxième fois, monsieur, que nous faisons le voyage de Paris en trente ans.

Alors, il se récria. Jules avait le plus bel avenir. Ils allaient briser sa carrière. Pendant qu’il parlait, la marquise laissait échapper des mouvements d’impatience. Elle s’expliqua à son tour avec plus de vivacité.

— Mon Dieu, monsieur Rougon, ce n’est pas à nous de vous juger. Mais il y a dans notre famille certaines traditions… Jules ne peut tremper dans une persécution abominable contre l’Église. À Plassans, on s’étonne déjà. Nous nous fâcherions avec toute la noblesse du pays.

Il avait compris. Il voulut parler. Elle lui imposa silence, d’un geste impérieux.

— Laissez-moi achever… Notre fils s’est rallié malgré nous. Vous savez quelle a été notre douleur, en le voyant servir un gouvernement illégitime. J’ai empêché son père de le maudire. Depuis ce temps, notre maison est en deuil, et lorsque nous recevons des amis, le nom de notre fils n’est jamais prononcé. Nous avions juré de ne plus nous occuper de lui ; seulement, il est des limites, il devient intolérable qu’un d’Escorailles se trouve mêlé aux ennemis de notre sainte religion… Vous m’entendez, n’est-ce pas, monsieur ?

Rougon s’inclina. Il ne songea même pas à sourire des pieux mensonges de la vieille dame. Il retrouvait le marquis et la marquise tels qu’il les avait connus, à l’époque où il crevait la faim sur le pavé de Plassans, hautains, pleins de morgue et d’insolence. Si d’autres lui avaient tenu un si singulier langage, il les aurait certainement jetés à la porte. Mais il resta troublé, blessé, rapetissé ; c’était sa jeunesse de pauvreté lâche qui revenait ; un instant, il crut encore avoir aux pieds ses anciennes