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LES ROUGON-MACQUART.

sur la terrasse du bord de l’eau, des huissiers en habit noir, la mine grave, consultaient d’un coup d’œil les cartes des invités.

Les dames patronnesses ne comptaient guère avoir beaucoup de monde avant quatre heures. Dans la grande salle, debout derrière les comptoirs, elles attendaient les clients. Sur les longues tables couvertes de drap rouge, s’étalaient les marchandises ; il y avait plusieurs comptoirs d’articles de Paris et de chinoiseries, deux boutiques de jouets d’enfant, un kiosque de bouquetière plein de roses, enfin un tourniquet sous une tente, comme dans les fêtes de la banlieue. Les vendeuses, décolletées, en toilette de concert, prenaient des grâces marchandes, des sourires de modiste plaçant un vieux chapeau, des inflexions caressantes de voix, bavardant, faisant l’article sans savoir ; et, à ce jeu de demoiselles de magasin, elles s’encanaillaient avec de petits rires, chatouillées par toutes ces mains d’acheteurs, les premières venues, frôlant leurs mains. C’était une princesse qui tenait une des boutiques de joujoux ; en face, une marquise vendait des porte-monnaie de vingt-neuf sous, qu’elle ne lâchait pas à moins de vingt francs ; toutes deux rivales, mettant le triomphe de leur beauté dans la plus grosse recette, raccrochaient les pratiques, appelaient les hommes, demandaient des prix impudents, puis, après des marchandages furieux de bouchères voleuses, donnaient un peu d’elles, le bout de leurs doigts, la vue de leur corsage largement ouvert, par-dessus le marché, pour décider les gros achats. La charité restait le prétexte. Peu à peu pourtant, la salle s’emplissait. Des messieurs, tranquillement, s’arrêtaient, examinaient les marchandes, comme si elles avaient fait partie de l’étalage. Devant certains comptoirs, des jeunes gens très-élégants s’écrasaient,