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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

ricanaient, allaient jusqu’à des allusions polissonnes sur leurs emplettes ; tandis que ces dames, d’une complaisance inépuisable, passant de l’un à l’autre, offraient toute leur boutique du même air ravi. Être à la foule pendant quatre heures, c’est un régal. Un bruit d’encan s’élevait, coupé de rires clairs, au milieu du piétinement sourd des pas sur le sable. Les tentures rouges mangeaient la lumière crue des hautes fenêtres vitrées, ménageaient une lueur rouge, flottante, qui allumait les gorges nues d’une pointe de rose. Et, entre les comptoirs, parmi le public, promenant de légères corbeilles pendues à leur cou, six autres dames, une baronne, deux filles de banquier, trois femmes de hauts fonctionnaires, se précipitaient au-devant de chaque nouveau venu, en criant des cigares et du feu.

Madame de Combelot surtout avait beaucoup de succès. Elle était bouquetière, assise très-haut dans le kiosque plein de roses, un chalet découpé, doré, pareil à une grande volière. Toute en rose elle-même, un rose de peau qui continuait sa nudité au delà de l’échancrure du corsage, portant seulement entre les deux seins le bouquet de violettes d’uniforme, elle avait imaginé de faire ses bouquets devant le public, comme une vraie bouquetière : une rose, un bouton, trois feuilles, qu’elle roulait entre ses doigts, en tenant le fil du bout des dents, et qu’elle vendait d’un louis à dix louis, selon la figure des messieurs. Et l’on s’arrachait ses bouquets, elle ne pouvait suffire aux commandes, elle se piquait de temps à autre, affairée, suçant vivement le sang de ses doigts.

En face, dans la baraque de toile, la jolie madame Bouchard tenait le tourniquet. Elle portait une délicieuse toilette bleue d’une coupe paysanne, la taille haute, le corsage formant fichu, presque un déguisement, pour