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LES ROUGON-MACQUART.

vu, n’est-ce pas ? Eh bien ! sans rancune… Vous êtes très-fort, mon cher. Mais dites-vous bien une chose : une femme vous roulera toujours quand elle voudra en prendre la peine.

Rougon, un peu pâle, souriait.

— Oui, vous avez raison peut-être, dit-il d’une voix lente, évoquant toute cette histoire. J’avais ma seule force. Vous aviez…

— J’avais autre chose, parbleu ! acheva-t-elle avec une carrure qui arrivait à de la grandeur, tant elle se mettait haut dans le dédain des convenances.

Il n’eut pas une plainte. Elle lui avait pris de sa puissance pour le vaincre ; elle retournait aujourd’hui contre lui les leçons épelées à son côté, en disciple docile, pendant leurs bons après-midi de la rue Marbeuf. C’était là de l’ingratitude, de la trahison, dont il buvait l’amertume sans dégoût, en homme d’expérience. Sa seule préoccupation, dans ce dénoûment, restait de savoir s’il la connaissait enfin tout entière. Il se rappelait ses anciennes enquêtes, ses efforts inutiles pour pénétrer les rouages secrets de cette machine superbe et détraquée. La bêtise des hommes, décidément, était bien grande.

À deux fois, Clorinde s’était éloignée pour servir des petits verres. Puis, lorsqu’elle se fut satisfaite, elle recommença sa marche royale entre les tables, en affectant de ne plus s’occuper de lui. Il la suivait des yeux ; et il la vit s’approcher d’un monsieur à barbe immense, un étranger dont les prodigalités révolutionnaient alors Paris. Ce dernier achevait un verre de malaga.

— Combien, madame ? demanda-t-il en se levant.

— Cinq francs, monsieur. Toutes les consommations sont à cinq francs.

Il paya. Puis, du même ton, avec son accent :

— Et un baiser, combien ?