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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

jouissance attendue depuis des mois, goûtant sans hâte, phrase à phrase, la volupté de se montrer enfin à lui en ennemie implacable et vengée.

— Je n’ai pas pu vous défendre, continua-t-elle, vous ignorez sans doute…

Elle n’acheva pas. Puis, elle demanda, d’un air aigu :

— Devinez qui vous remplace à l’Intérieur ?

Il eut un geste d’insouciance. Mais elle le fatiguait de son regard. Elle finit par lâcher ce seul mot :

— Mon mari !

Rougon, la bouche sèche, but encore une gorgée d’eau sucrée. Elle avait tout mis dans ce mot, sa colère d’avoir été dédaignée autrefois, sa rancune menée avec tant d’art, sa joie de femme de battre un homme réputé de première force. Alors, elle se donna le plaisir de le torturer, d’abuser de sa victoire ; elle étala les côtés blessants. Mon Dieu ! son mari n’était pas un homme supérieur ; elle l’avouait, elle en plaisantait même ; et elle voulait dire que le premier venu avait suffi, qu’elle aurait fait un ministre de l’huissier Merle, si le caprice lui en était poussé. Oui, l’huissier Merle, un passant imbécile, n’importe qui : Rougon aurait eu un digne successeur. Cela prouvait la toute-puissance de la femme. Puis, se livrant complètement, elle se montra maternelle, protectrice, donneuse de bons conseils.

— Voyez-vous, mon cher, je vous l’ai dit souvent, vous avez tort de mépriser les femmes. Non, les femmes ne sont pas les bêtes que vous pensez. Ça me mettait en colère, de vous entendre nous traiter de folles, de meubles embarrassants, que sais-je encore ? de boulets au pied… Regardez donc mon mari ! Est-ce que j’ai été un boulet à son pied ?… Moi, je voulais vous faire voir ça. Je m’étais promis ce régal, vous vous souvenez, le jour où nous avons eu cette conversation. Vous avez