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LES ROUGON-MACQUART.

— Si la Chambre refuse de m’écouter, je proteste et je descends de cette tribune.

— Parlez, parlez ! cria-t-on de plusieurs bancs.

Et une voix épaisse, comme enrouée, gronda :

— Parlez, on saura vous répondre.

Le silence régna brusquement. Sur les gradins, dans les tribunes, on tendait le cou pour voir Rougon, qui venait de lancer cette phrase. Il était assis au premier banc, les coudes appuyés sur la tablette de marbre. Son gros dos gonflé gardait une immobilité à peine rompue de loin en loin par un léger balancement des épaules. On n’apercevait pas son visage, enfoui entre ses larges mains. Il écoutait. Son début était attendu avec une vive curiosité ; car, depuis sa nomination de ministre sans portefeuille, il n’avait pas encore pris la parole. Sans doute il eut conscience de tous ces regards fixés sur lui. Il tourna la tête, fit le tour de la salle. En face, dans la tribune des ministres, Clorinde en robe violette, accoudée à la rampe de velours rouge, le regardait longuement, avec son audace tranquille. Ils restèrent deux secondes les yeux dans les yeux, sans se sourire, comme étrangers. Puis, Rougon reprit sa position, écouta de nouveau, le visage entre ses mains ouvertes.

— Messieurs, je me résume, disait l’orateur. Le décret du 24 novembre octroie des libertés purement illusoires. Nous sommes encore bien loin des principes de 89, inscrits si pompeusement en tête de la constitution impériale. Si le gouvernement reste armé de lois exceptionnelles, s’il continue à imposer ses candidats au pays, s’il ne dégage pas la presse du régime de l’arbitraire, enfin s’il tient toujours la France à sa merci, toutes les concessions apparentes qu’il peut faire sont mensongères…

Le président l’interrompit.