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LES ROUGON-MACQUART.

Les rires reprenaient. Un député avait dit, assez haut pour être entendu de ses voisins : « Va, va, mon bonhomme, tu n’auras rien de tout ça ! » Un autre ajoutait des mots drôles à chaque phrase tombée de la tribune. Mais le plus grand nombre, pour s’amuser, scandait les périodes à coups précipités de couteau à papier, tapés sournoisement sous leur pupitre ; ce qui produisait un roulement de baguettes de tambour, dans lequel la voix de l’orateur se trouvait étouffée. Celui-ci pourtant lutta jusqu’au bout. Il s’était redressé, il lançait puissamment ces dernières paroles, par-dessus le tumulte :

— Oui, nous sommes des révolutionnaires, si vous entendez par là des hommes de progrès, décidés à conquérir la liberté ! Refusez la liberté au peuple, un jour le peuple la reprendra.

Et il descendit de la tribune, au milieu d’un nouveau déchaînement. Les députés ne riaient plus comme une bande de collégiens échappés. Ils s’étaient levés, tournés vers la gauche, poussant une fois encore le cri : « À l’ordre ! à l’ordre ! » L’orateur avait regagné son banc, et restait debout, entouré de ses amis. Il y eut des poussées. La majorité sembla vouloir se jeter sur ces cinq hommes, dont les faces pâles les défiaient. Mais M. de Marsy, fâché, sonnait d’une main saccadée, en regardant les tribunes où des dames se reculaient, l’air peureux.

— Messieurs, dit-il, c’est un scandale…

Et le silence s’étant fait, il continua, de très-haut, avec son autorité mordante :

— Je ne veux pas prononcer un second rappel à l’ordre. Je dirai seulement qu’il est vraiment scandaleux d’apporter à cette tribune des menaces qui la déshonorent.

Une triple salve d’applaudissements accueillit ces paroles du président. On criait bravo, et les couteaux à