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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

tendrement l’un contre l’autre, dans un coin de la tribune du Conseil d’État. Le jeune homme se penchait à tous moments, parlait dans le cou de la jeune femme, qui souriait d’un air doux, sans le regarder, les yeux fixés sur la figure allégorique de l’Ordre public.

— Dites donc, Béjuin ? murmura le député en poussant son collègue du genou.

M. Béjuin était à sa cinquième lettre. Il leva la tête, effaré.

— Là haut, tenez, vous ne voyez pas le petit d’Escorailles et la jolie madame Bouchard. Je parie qu’il lui pince les hanches. Elle a des yeux mourants… Tous les amis de Rougon se sont donc donné rendez-vous. Il y a encore là, dans la tribune du public, madame Correur et le ménage Charbonnel.

Un coup de sonnette plus prolongé retentit. Un huissier lança d’une belle voix de basse : « Silence, messieurs ! » On écouta. Et le président dit cette phrase, dont pas un mot ne fut perdu :

— Monsieur Kahn demande l’autorisation de faire imprimer le discours qu’il a prononcé dans la discussion du projet de loi relatif à l’établissement d’une taxe municipale sur les voitures et les chevaux circulant dans Paris.

Un murmure courut sur les bancs, et les conversations reprirent. M. La Rouquette était venu s’asseoir près de M. Kahn.

— Vous travaillez donc pour les populations, vous ? lui dit-il en plaisantant.

Puis, sans le laisser répondre, il ajouta :

— Vous n’avez pas vu Rougon ? vous n’avez rien appris ?… Tout le monde parle de la chose. Il paraît qu’il n’y a encore rien de certain.

Il se tourna, il regarda l’horloge.

— Déjà deux heures vingt ! C’est moi qui filerais, s’il