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LES ROUGON-MACQUART.

n’y avait pas la lecture de ce diable de rapport !… Est-ce vraiment pour aujourd’hui ?

— On nous a tous prévenus, répondit M. Kahn. Je n’ai pas entendu dire qu’il y eût contre-ordre… Vous ferez bien de rester. On votera les quatre cent mille francs du baptême tout de suite.

— Sans doute, reprit M. La Rouquette. Le vieux général Legrain, qui se trouve en ce moment perclus des deux jambes, s’est fait apporter par son domestique ; il est dans la salle des Conférences, à attendre le vote… L’empereur a raison de compter sur le dévouement du Corps législatif tout entier. Pas une de nos voix ne doit lui manquer, dans cette occasion solennelle.

Le jeune député avait fait un grand effort pour se donner la mine sérieuse d’un homme politique. Sa figure poupine, égayée de quelques poils blonds, se rengorgeait sur sa cravate, avec un léger balancement. Il parut goûter un instant les deux dernières phrases d’orateur qu’il avait trouvées. Puis, brusquement, il partit d’un éclat de rire.

— Mon Dieu ! dit-il, que ces Charbonnel ont une bonne tête !

Alors, M. Kahn et lui plaisantèrent aux dépens des Charbonnel. La femme avait un châle jaune extravagant ; le mari portait une de ces redingotes de province, qui semblent taillées à coups de hache ; et tous deux, larges, rouges, écrasés, appuyaient presque le menton sur le velours de la rampe, pour mieux suivre la séance, à laquelle leurs yeux écarquillés ne paraissaient rien comprendre.

— Si Rougon saute, murmura M. La Rouquette, je ne donne pas deux sous du procès des Charbonnel… C’est comme madame Correur…

Il se pencha à l’oreille de M. Kahn, et continua très-bas :