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LES ROUGON-MACQUART.

raissait plus petite, avec des membres plus gras, toute dorée d’un frisson de désir, dont il semblait voir passer les moires chaudes sur sa peau de satin. Elle était pelotonnée, s’offrant, se faisant désirable, d’un air d’amante soumise qui veut être prise entière dans un embrassement.

M. Brambilla, M. Staderino et M. Viscardi, sans quitter leur raideur noire de conspirateurs, l’applaudirent gravement.

— Brava ! brava ! brava !

M. La Rouquette éclatait d’enthousiasme, tandis que le chevalier Rusconi, qui s’était rapproché de la table, pour tendre la cigarette à la jeune fille, restait là, le regard pâmé, avec un léger balancement de la tête, comme s’il battait le rythme de son admiration.

Rougon ne dit rien. Il noua si fortement ses mains, que les doigts craquèrent. Un léger frisson venait de lui courir de la nuque aux talons. Alors, il ne songea plus à s’en aller, il s’installa. Mais elle, déjà, avait repris son grand corps libre, riant très-fort, fumant sa cigarette, avec un retroussement cavalier des lèvres. Elle racontait qu’elle aurait adoré jouer la comédie ; elle aurait tout su rendre, la colère, la tendresse, la pudeur, l’effroi ; et, d’une attitude, d’un jeu de physionomie, elle indiquait des personnages. Puis, tout d’un coup :

— Monsieur Rougon, voulez-vous que je vous fasse, lorsque vous parlez à la Chambre ?

Elle se gonfla, se rengorgea, en soufflant, en lançant les poings en avant, avec une mimique si drôle, si vraie dans la charge, que tout le monde se pâma. Rougon riait comme un enfant ; il la trouvait adorable, très-fine et très-inquiétante.

— Clorinda, Clorinda, murmura Luigi, en tapant de petits coups d’appui-main sur son chevalet.