Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
82
LES ROUGON-MACQUART.

dû faire ses dents sur les bancs de la Chambre. Sous Louis-Philippe, il siégeait déjà au centre droit, et il soutenait la monarchie constitutionnelle avec une passion juvénile. Après 48, il est passé au centre gauche, toujours très-passionné, d’ailleurs ; il avait écrit une profession de foi républicaine d’un style superbe. Aujourd’hui, il est revenu au centre droit, il défend passionnément l’empire… Au demeurant, est fils d’un banquier juif de Bordeaux, dirige des hauts fourneaux près de Bressuire, s’est taillé une spécialité dans les questions financières et industrielles, vit assez médiocrement en attendant la grosse fortune qu’il fera un jour, a été promu au grade d’officier le 15 août dernier…

Et Rougon cherchait, les regards perdus.

— Je n’oublie rien, je crois… Non, il n’a pas d’enfant…

— Comment ! il est marié ! s’écria Clorinde.

Elle eut un geste pour dire que M. Kahn ne l’intéressait plus. C’était un sournois ; jamais il n’avait montré sa femme. Alors, Rougon lui expliqua que madame Kahn vivait à Paris, très-retirée. Puis, sans attendre une interrogation, il reprit :

— Voulez-vous la biographie de Béjuin, maintenant ?

— Non, non, dit la jeune fille.

Mais il continua quand même :

— Il sort de l’École polytechnique. Il a écrit des brochures que personne n’a lues. Il dirige la cristallerie de Saint-Florent, à trois lieues de Bourges… C’est le préfet du Cher qui l’a inventé…

— Taisez-vous donc ! cria-t-elle.

— Un digne homme, votant bien, ne parlant jamais, très-patient, attendant qu’on songe à lui, toujours là à vous regarder pour qu’on ne l’oublie pas… Je l’ai fait nommer chevalier…