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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Elle dut lui mettre la main sur la bouche, se fâchant, disant :

— Eh ! il est marié aussi, celui-là ! il n’est pas drôle !… J’ai vu sa femme chez vous, un paquet ! Elle m’a invitée à aller visiter leur cristallerie, à Bourges.

D’une bouchée, elle acheva sa première tartine. Puis, elle but une grande gorgée d’eau. Ses jambes pendaient, au bord de la table ; et, un peu tassée sur les reins, le cou plié en arrière, elle les balançait, d’un mouvement machinal dont Rougon suivait le rythme. À chaque va-et-vient, les mollets se renflaient, sous la gaze.

— Et monsieur Du Poizat ? demanda-t-elle, après un silence.

— Du Poizat a été sous-préfet, répondit-il simplement.

Elle le regarda, surprise de la brièveté de l’histoire.

— Je le sais bien, dit-elle. Ensuite ?

— Ensuite, il sera préfet plus tard, et alors on le décorera.

Elle comprit qu’il ne voulait pas en dire davantage. D’ailleurs, elle avait jeté le nom de Du Poizat négligemment. Maintenant, elle cherchait ces messieurs sur ses doigts ; elle partait du pouce, elle murmurait :

— Monsieur d’Escorailles : il n’est pas sérieux, il aime toutes les femmes… Monsieur La Rouquette : inutile, je le connais trop bien… Monsieur de Combelot : encore un qui est marié…

Et, comme elle s’arrêtait à l’annulaire, ne trouvant plus personne, Rougon lui dit, en la regardant fixement :

— Vous oubliez Delestang.

— Vous avez raison ! cria-t-elle. Parlez-moi donc de celui-là ?

— C’est un bel homme, reprit-il sans la quitter des yeux. Il est fort riche. Je lui ai toujours prédit un grand avenir.