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LES ROUGON-MACQUART.

une force. Et ils me font hausser les épaules, les autres, quand ils protestent de leur dévouement à l’empire ! Est-ce qu’ils l’aiment ? est-ce qu’ils le sentent ? est-ce qu’ils ne s’accommoderaient pas de tous les gouvernements ? Moi, j’ai poussé avec l’empire ; je l’ai fait et il m’a fait… J’ai été nommé chevalier après le 10 décembre, officier en janvier 52, commandeur le 15 août 54, grand officier il y a trois mois. Sous la présidence, j’ai eu un instant le portefeuille des travaux publics ; plus tard, l’empereur m’a chargé d’une mission en Angleterre ; puis, je suis entré au Conseil d’État et au Sénat…

— Et demain, où entrez-vous ? demanda Clorinde, avec un rire, sous lequel elle tâchait de cacher l’ardeur de sa curiosité.

Il la regarda, s’arrêta net.

— Vous êtes bien curieuse, mademoiselle Machiavel, dit-il.

Alors, elle balança ses jambes d’un mouvement plus vif. Il y eut un silence. Rougon, à la voir de nouveau perdue dans une grosse rêverie, crut le moment favorable pour la confesser.

— Les femmes… commença-t-il.

Mais elle l’interrompit, les yeux vagues, souriant légèrement à ses pensées, murmurant à demi-voix :

— Oh ! les femmes ont autre chose.

Ce fut son seul aveu. Elle acheva sa tartine, vida d’un trait le verre d’eau pure, et se mit debout sur la table, d’un saut qui attestait son habileté d’écuyère.

— Eh ! Luigi ! cria-t-elle.

Le peintre, depuis un instant, mordant ses moustaches d’impatience, s’était levé, piétinant autour d’elle et de Rougon. Il revint s’asseoir avec un soupir, il reprit sa palette. Les trois minutes de grâce demandées par Clorinde, avaient duré un quart d’heure. Cependant, elle